Transhumanisme : Les causes du vieillissement selon Aubrey de Grey

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SHARE Conference from Beirut, Lebanon - SENS FOUNDATION / AUBREY DE GREY

Le Dr Aubrey de Grey est l’une des figures emblématiques de la recherche contre le vieillissement. Il est le co-fondateur de SENS, un institut de recherche situé en Californie, dédié à la recherche anti-âge et majoritairement centré sur la médecine régénérative. Il a publié en 1999 un livre intitulé « The Mitochondrial Free Radical Theory of Aging« , dans lequel il explique que les dommages infligés à la mitochondrie au cours de notre vie sont les principaux responsables de notre vieillissement. Il crée par la suite un journal scientifique, Rejuvenation Research, dédié à la publication de recherches dans le domaine du vieillissement. Enfin, il est lui-même impliqué dans ces recherches, en temps que bio-informaticien, et participe régulièrement à des congrès, plus ou moins grand public. Sa conférence TED a connu un grand succès. Plus récemment, il a co-écrit un nouvel ouvrage « Ending Aging« , encore plus poussé que son premier livre.

Le but d’Aubrey de Grey ? Trouver un moyen de ralentir le vieillissement en remplaçant ou modifiant nos cellules.

Les interventions de gérontologie, gériatrie et d’ingénierie contre le vieillissement

Selon Aubrey de Grey, le vieillissement peut être défini très simplement. Nous avons un métabolisme cellulaire, qui correspond à tout ce qui nous permet de vivre d’un jour à l’autre et fait fonctionner nos cellules. Ce métabolisme accumule, au cours du temps, des dommages, liés intrinsèquement à son fonctionnement qui n’est pas sans erreurs. Ces dommages, lorsqu’ils s’accumulent causent des pathologies et nous font vieillir.

Les théories de Aubrey de Grey reposent essentiellement sur un constat : les approches actuelles de gérontologie et de gériatrie ne sont pas des outils suffisants ou suffisamment au point pour permettre un ralentissement efficace du vieillissement. Il explique que l’approche gérontologique, qui consiste à intervenir en amont des dommages cellulaires qui se mettent en place au cours de notre vie, ne dispose aujourd’hui pas d’outils assez puissants pour être efficaces. Ce manque d’outils s’accompagne d’un manque de connaissances global de notre métabolisme. D’un autre côté, l’approche gériatrique, qui intervient après l’apparition des dommages cellulaires et tente de prévenir l’apparition de pathologies, est, selon lui, une course contre le temps perdue d’avance.

C’est pour cela qu’il se concentre sur une approche d’ingénierie, dont le but n’est pas la prévention mais le traitement pur et simple du vieillissement. En effet, en gérontologie, si l’on s’intéresse au métabolisme, la liste des voies de signalisation, des protéines, des enzymes… impliquées dans les processus le définissant est infinie ! En gériatrie, si l’on se restreint à prévenir certaines maladies, d’autres pourront apparaître et il n’est pas possible de prendre en compte la totalité des maladies existantes. A l’inverse, avec l’approche ingénierie de Aubrey de Grey, la lutte contre le vieillissement va se focaliser sur les dommages cellulaires, dont la liste est très restreinte et a très peu varié au cours des 100 dernières années.

Les sept causes du vieillissement selon Aubrey de Grey

D’après Aubrey de Grey, les dommages cellulaires peuvent être classés en sept parties interconnectées. Ces sept causes sont inchangées depuis le début des années 1980, impliquant qu’il y peu de choses encore à découvrir dans ce domaine. Ce constat est encourageant, car il nous limite à quelques mécanismes bien définis, contrairement à l’étude du métabolisme (approche gérontologique) ou à celle des pathologies (approche gériatrique), beaucoup plus complexes et toujours en cours de découverte !

Déchets intracellulaires
Déchets intercellulaires
Mutations nucléaires
Mutations mitochondriales
Perte des cellules souches
Augmentation des cellules sénéscentes
Augmentation des liens protéiques intercellulaires

La gestion des déchets cellulaires

Lorsque notre métabolisme fonctionne et afin de produire les protéines dont nous avons besoin, de permettre la division des cellules ou de synthétiser des hormones ou des métabolites nécessaires à la fonction de nos organes, nos cellules vont également produire des déchets qui doivent être évacués. Comme pour tous les phénomènes métaboliques, ces processus de « poubelle cellulaire » vont bien fonctionner en début de vie et vont s’affaiblir avec le temps.  La notion de déchet extracellulaire a notamment été mise en évidence en 1907 par Aloïs Alzheimer, qui a donné son nom à la maladie qu’il a caractérisée. En effet, dans la maladie d’Alzheimer, des protéines s’accumulent en-dehors des neurones empêchant leur connexion avec les autres cellules environnantes et provoquent leur mort (voir La maladie d’Alzheimer).

La notion de déchet intracellulaire a été découverte par Strehler en 1959. Selon lui, le processus de vieillissement a quatre caractéristiques : il est destructif, il est progressif (donc irréversible), il est intrinsèque (et c’est cela qui nous intéresse) et il est universel. Les déchets cellulaires, en plus de s’accumuler entre les cellules, peuvent également être stockés dans les cellules, lorsque la machinerie « camion-poubelle » s’enraye. C’est notamment ce qu’il se passe dans la dégénérescence maculaire ou l’athérosclérose.

Les mutations génétiques

Aubrey de Grey distingue deux types de mutations suivant la cible touchée, les mutations nucléaires (Szilard, 1959 et Cutler, 1982) et les mutations mitochondriales (Harman, 1972). Une mutation génétique, c’est lorsque notre information, stockée sous forme d’ADN, est transformée par des mécanismes variés. Les mutations nucléaires, c’est à dire celles touchant l’ADN présent dans notre noyau et codant pour la quasi-totalité des protéines de notre corps, sont celles que nous connaissons le mieux, car elles sont communes à de nombreuses pathologies (cancer, diabète…). Les mutations sont généralement héréditaires, mais il existe également des mutations dites de novo : lorsque les cellules se divisent, elles doivent copier la totalité de leur ADN pour le transmettre à leurs cellules filles, et lors de ce mécanisme, des erreurs peuvent apparaître. Le plus souvent, les cellules porteuses de mutations graves vont se suicider grâce à une mort cellulaire programmée (l’apoptose) mais il arrive qu’elles échappent à ce mécanisme et survivent, se divisant à leur tour et donnant des cellules filles porteuses de la mutation.

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Parallèlement, des mutations peuvent apparaître dans l’ADN mitochondrial. La mitochondrie est un organite cellulaire un peu spécial : elle nous fournit en énergie (les fameux ATP et NAD), permet la respiration cellulaire (et la synthèse des malheureux oxydants) et est impliquée dans des mécanismes centraux, tels que la mort ou la croissance cellulaire. Elle est issue d’une fusion ancestrale (environ 2 milliards d’années) entre nos cellules et une bactérie. Son utilité était telle que, lors de l’évolution, les cellules humaines l’ont totalement intégrée et, du fait de son origine, elle dispose d’un ADN à elle, indépendant de l’ADN nucléaire, qui code pour 13 protéines nécessaires à son fonctionnement : c’est le génome mitochondrial. Les mutations touchant cet ADN sont majoritairement connues pour les maladies mitochondriales, des pathologies multi-facettes, mais, par le même processus que pour l’ADN nucléaire, des mutations peuvent apparaître de novo.

La gestion de notre stock de cellules

Plusieurs types de cellules peuplent notre organisme: les cellules à vie courte, qui se renouvellent souvent, les cellules à longue vie, qui ne se renouvellent pas ou peu, les cellules souches, virtuellement immortelles, et les cellules sénescentes, des « zombies » qui correspondent à des cellules en fin de vie, incapables de se diviser mais ne mourant pas non plus et dont les fonctions se dégradent. Au cours de notre vie, le stock de cellules souches diminue et le nombre de cellules sénescentes augmente. Aubrey de Grey postule que ce déséquilibre est l’une des origines du vieillissement. Cette théorie est issue des travaux de Brody (1955) et de Hayflick (1972), deux chercheurs dont les travaux n’ont pas été remis en cause jusqu’à présent.

Les interconnexions protéiques

Pour que nos cellules communiquent et forment des tissus cohésifs, il est nécessaire qu’elles aient des interactions entre elles. Cette cohésion est réalisée par des protéines spécifiques dont le nombre et/ou le nombre de liaisons qu’elles effectuent a tendance à augmenter avec l’âge (Monnier & Cerami, 1981). Aubrey de Grey explique que cette multiplication de liens inter-cellulaires, loin d’être bénéfique, peut causer une perte d’élasticité des tissus et entraîner l’apparition de maladies, comme l’artériosclérose.

L’avenir des traitements et la notion de « longevity escape velocity » selon Aubrey de Grey

L’approche de Aubrey de Grey est la suivante : nous avons identifié les sept mécanismes sous-jacents du vieillissement et nous seront bientôt en capacité d’intervenir au moment des dommages cellulaires. A défaut d’une prévention, nous serons capable de traiter, au fur et à mesure de son apparition, le vieillissement de nos cellules.

C’est là qu’interviennent deux notions : « robust human rejuvenation » (littéralement « le solide rajeunissement humain ») et « longevity escape velocity » (littéralement « la vitesse d’échappement pour la longévité »). La robust human rejuvenation consiste en une découverte majeure, permettant par exemple d’ajouter 30 ans de vie à une personne ayant actuellement 55 ans. Ce sera le moment « eureka » de la recherche contre le vieillissement. A partir de cette date, de nouveaux traitements et raffinements de la découverte initiale vont permettre d’ajouter régulièrement des années de vie en plus des 30 ans initiaux prévus. C’est ce que Aubrey de Grey appelle la longevity escape velocity et qui entraîne un constat simple : le premier homme à vivre 1000 ans aura environ 20 ans de moins que le premier homme à vivre 150 ans, du fait de l’implémentation exponentielle des traitements. Il fait ce postulat basé sur les évolutions scientifiques dans d’autres domaines et donne régulièrement l’exemple de l’aviation : en 1903, le premier avion est construit (c’est la découverte fondamentale), en 1927, le premier vol en solitaire et sans escale au-dessus de l’Atlantique a lieu, en 1949, le premier avion à réaction est lancé et en 1969, les premiers vols supersoniques débutent. C’est ce que Aubrey de Grey définit comme une amélioration croissante et exponentielle des technologies : à partir de la découverte majeure, l’évolution technologique est rapide et permettra, à son avis, d’ajouter régulièrement des années de vie.

Qu’en est-il des pistes de traitements ?

A chaque problématique sa solution. Aubrey de Grey est centré sur les approches régénératives de la médecine anti-vieillissement, c’est-à-dire les technologies permettant la restauration à la normale de la structure et/ou de la fonction d’un tissu après avoir subi des dommages.

Problématiques

Thérapies potentielles

Déchets intracellulaires

Hydrolases microbiennes transgéniques: des enzymes capables de détruire ces déchets, qui ne sont pas présentes dans notre organisme

Déchets intercellulaires

Stimulation de la phagocytose par notre système immunitaire: les macrophages notamment, dont le rôle est de manger les déchets

Mutations nucléaires

KO de la télomérase et augmentation du nombre de cellules souches: le but est de diminuer le nombre de divisions cellulaires afin de diminuer le risque de mutations, tout en maintenant un niveau de renouvellement normal avec les cellules souches

Mutations mitochondriales

Expression allotropique des 13 protéines codées par l'ADNmt grâce à l'intégration de cette séquence d'ADN dans l'ADN nucléaire

Perte des cellules souches

Thérapie cellulaire grâce à des facteurs de croissances et à un ajout de cellules souches

Augmentation des cellules sénéscentes

Ablation des cellules sénescentes par ciblage, majoritairement en boostant les gènes de "suicide"

Augmentation des liens protéiques intercellulaires

Enzymes permettant la rupture de ces liens

Certaines de ces thérapies sont déjà bien avancées et pourrait déboucher sur des tests cliniques sous peu. Des découvertes importantes ont également eu lieu ces dernières années, notamment les cellules iPS (des cellules souches que nous pouvons contrôler) et les outils d’édition génétique (voir dossier CRISPR-cas9). Cependant, comme Aubrey de Grey le dit régulièrement, nous ne savons pas quand arrivera la découverte qui changera tout et qui permettra d’allonger notre vie en bonne santé rapidement !

Dr. Marion Tible

Marion Tible Long Long Life

Author/Reviewer

Auteure/Relectrice

Marion Tible has a PhD in cellular biology and physiopathology. Formerly a researcher in thematics varying from cardiology to neurodegenerative diseases, she is now part of Long Long Life team and is involved in scientific writing and anti-aging research.

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Marion Tible est docteur en biologie cellulaire et physiopathologie. Ancienne chercheuse dans des thématiques oscillant de la cardiologie aux maladies neurodégénératives, elle est aujourd’hui impliquée au sein de Long Long Life pour la rédaction scientifique et la recherche contre le vieillissement.

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Dr Guilhem Velvé Casquillas

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Physics PhD, CEO NBIC Valley, CEO Long Long Life, CEO Elvesys Microfluidic Innovation Center

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